Me suis replongée dans de vieux carnets ce soir. Comme parfois, aux moments transitoires. L'écriture joue au moins son rôle de trace, de mémoire, et dans ce cas précis, il ne faut peut-être pas lui demander autre chose que cela. J'ai refait, avec toute la distance de ces deux années écoulées, le chemin des remous affectifs, des faux espoirs, des illusions voulues, des acharnements contre le mur, de la chute.

Sur l'avortement, rien. Quelques mots, illisibles parce que griffonnés de travers, trop serrés, emboutis. Rien à lire, comme s'il n'y avait eu rien à dire. Parce que tout "s'était bien passé" et très vite. Parce qu'il n'y avait pas à se plaindre au fond. Un rendez-vous rapide chez un médecin du 13e, au pied d'une tour, un matin de mai, deux pilules à prendre chez soi le lendemain. Le tour était joué et la vie pouvait continuer, identique à ce qu'elle avait toujours été.
Rien à lire donc.
Pourtant, de ces deux années, ce fut le plus important. Bien plus que de savoir s'il fallait que je me taise ou que je parle pour lui plaire encore, pour qu'il reste, pour qu'il en finisse de désirer ailleurs. Le plus important a bien été l'absent. Le non-venu. Et des mois après, me demander au détour d'un rayon de surgelés quel âge ille aurait, et de quoi ma vie serait faite, comment on aurait fait.

Que l'on s'entende bien, je n'ai pas de regrets. S'il fallait le refaire, je le referais. Et sans hésiter.

Mais il est vrai que cette "expérience" a ébranlée des certitudes auxquelles je m'accrochais farouchement, comme ce "jamais d'enfants" que je brandissais entre autres bannières, parce qu'il était gage de ma sacro-sainte liberté. Peut-être parce que cette "expérience" a introduit une dimension physique, corporelle, à ce qui n'était jusqu'alors pour moi que de l'ordre de l'idée. Peut-être parce qu'il est d'usage qu'à l'échographie, le médecin montre à sa patiente l'avant et l'après. Peut-être parce que le vide, soudain, sur cette vignette floue où l'on ne distingue presque rien, ce vide fait peur, parce qu'il se fait miroir d'un autre vide qu'on se trimballe de manière récurrente, un vide de sens dans ce monde mondialisé. Comme si remplir son ventre d'une vie à venir allait résoudre la question, combler le vide, donner un sens. Certains disent que oui, d'autres que non. Il y a toujours eu deux écoles.

Quoiqu'il en soit, cette semaine, sur la route de Caen, j'ai entraperçu l'histoire d'une grande famille. Et à les voir, je veux bien croire qu'à un moment, le bonheur puisse résider dans des rires d'enfants.