"«JE SUIS CE QUE JE SUIS.» Mon corps m’appartient. Je suis moi, toi t’es toi, et ça va mal.
Personnalisation de masse. Individualisation de toutes les conditions – de vie, de travail, de malheur. Schizophrénie diffuse. Dépression rampante. Atomisation en fines particules paranoïaques. Hystérisation du contact. Plus je veux être Moi, plus j’ai le sentiment d’un vide. Plus je m’exprime, plus je me taris. Plus je me cours après, plus je suis fatiguée. Je tiens, tu tiens, nous tenons notre Moi comme un guichet fastidieux. Nous sommes devenus les représentants de nous-mêmes – cet étrange commerce, les garants d’une personnalisation qui a tout l’air, à la fin, d’une amputation. Nous assurons jusqu’à la ruine avec une maladresse plus ou moins déguisée.

En attendant, je gère. La quête de soi, mon blog, mon appart, les dernières conneries à la mode, les histoires de couple, de cul... ce qu’il faut de prothèses pour faire tenir un Moi! Si «la société» n’était pas devenue cette abstraction définitive, elle désignerait l’ensemble des béquilles existentielles que l’on me tend pour me permettre de me traîner encore, l’ensemble des dépendances que j’ai contractées pour prix de mon identité. (...)"

Comité invisible, L'insurrection qui vient, 2009.