Ce soir, il a trop bu, alors il peut enfin lui parler. Au milieu des autres, seul en soi, plus rien ne le retient, même pas elle. L'image en arrière-plan se dissipe, elle résistait depuis si longtemps. Elle s'efface pourtant. Il veut lui dire, il ne sait comment, elle a encore peur de ces mots en grand, il y aurait tant à taire pour oublier vraiment. Lui ne peut reculer plus longtemps, l'alcool rend transparent et pour lui, il est grand temps. Il lui tient la tête, encadre son visage de ses mains, il ne la laissera pas fuir comme elle le fait si souvent, il est là, en avant de lui-même, il l'attend, accroche ses yeux, dit presque en criant : "je ne pense plus à elle".

"Chuuut.... c'est à toi maintenant."

Elle rit, feint l'étonnement, elle a peur de ses mots en grand. Il la retient, elle fuit pourtant, se sauve d'une boutade, ne peut croire ce qu'il a dit vraiment. Ce soir, il a trop bu, il ne voit pas, il n'a pas vu, le trouble en elle, béant, de ses mots en grand.

Il met "les anarchistes" de Ferré, "rien que pour toi".

Ils ne savent pas comment s'y prendre, comment se prendre, en dedans. Ils y mettent le temps, le prennent aussi. La vitesse est un leurre, ils savent pertinemment. La glissade n'est pas donnée, rarement, et pour eux deux, ça fait longtemps. Ce n'est pas l'envie qui manque pourtant. Des noeuds à la confiance, ils dénouent lentement, main après main, nuit après sommeil, doucement brusques, soudain incertains.

"Reste avec moi". Elle fuit une autre fois.

Trop, pas assez, rien d'évident. L'entre eux deux les attend. Ils repoussent le moment. À cause des mots en grand, à cause du temps, à cause de leurs avants. Il s'endort et elle se tait. Elle attendait cet autrement. Car elle sait, que toujours, l'autre ment, qu'on se ment, sans le vouloir, de peur ou de désespoir, à cause du temps qui sans cesse sépare. Les amants. Elle sait qu'au fond, elle aime, alors elle attend. Toucher cet autre, autrement.