Dicky, un industriel d'une cinquantaine bien tassée, rencontre une jeune femme dans un bar, Jeannie, qui le séduit. Il rentre chez lui et après une courte nuit passée avec sa femme Maria, il repart après lui avoir annoncé son intention de divorcer. Le film raconte la nuit adultère qu'ils vont vivre chacun de leur côté, lui avec Jeannie, et elle avec Chet, un jeune homme rencontré dans un night club.

Un film en N&B, ou plutôt "en gris", rien de contraste dans le traitement de l'image, car dans les relations hommes-femmes et dans celles de l'amour, surtout le plus passionnel, rien n'est justement tout noir ou tout blanc, rien n'est évident, tout est nuance, tout le temps.

Faces suggère avec justesse la difficulté des relations hommes-femmes, ici dans le contexte particulier de la classe moyenne supérieure américaine, imprégnée de moralisme puritain, de rôles/représentations genrés bien définis - les hommes adultères sont "dans leur bons droits", leurs femmes leurs doivent fidélité et sont condamnées à vivre détachées de leur corps et de leurs désirs, bien plus encore, elles sont des mères ou des putes, des "jolies connes". À quoi se rajoute une réflexion sur la "confrontation générationnelle" en cette fin des années 60, dans le sens où Jeannie et Chet, les partenaires de circonstances, sont plus jeunes et mettent en avant une nouvelle manière de percevoir les relations hommes-femmes, plus détachée de cette morale puritaine et paternaliste.

Dans la manière dont il choisit de traiter de cela, Cassavetes se place toujours du côté des femmes, suggérant, à travers les très nombreux gros plans sur leurs visages, leurs regards et de fait sur leurs arrières-pensées, leurs doutes, leurs désirs, comment elles se détachent ou non de ce que leur renvoient ces hommes sur ce qu'elles "doivent" ou sont supposées être. Cassavetes capte et se positionne, à travers cette figure cinématographique, du côté de leur intimité (intime = Intérieur et profond. Se dit surtout "de ce qui fait l'essence d'une chose", ou "de ce qui lie étroitement certaines choses entre elles").

Le personnage de Jeannie est intéressant en ce qu'il est bâti sur cette opposition "extérieur, apparence"/"intérieur, intime". Plus jeune, plus indépendante que Maria, elle semble toujours à un pas de distance, amusé ou précautionneux face à ces hommes. Son regard semble dire "je t'écoute, mais causes toujours tu m'intéresse, je sais que je ne suis pas ce que tu me renvoie de ce que je suis supposée être", comme si elle acceptait en apparence de jouer le rôle que ces hommes veulent qu'elle joue - la jolie conne compréhensive, toujours dans une posture d'écoute patiente, qui ne bronche jamais alors qu'ils ne cessent de l'insulter - tout en sachant que ce n'est au fond qu'une stratégie relationnelle pour "être tranquille".
Face à ces hommes, elle est toujours dans une position "précaire", à double tranchant. D'un côté, parce qu'elle assume ses désirs, elle les attire, les séduit, les "met à l'aise" et leur permet ainsi de se libérer du carcan poussiéreux de leur mariage. De l'autre, du fait qu'elle leur renvoie justement une image de sa propre indépendance, de son propre désir, de sa liberté de corps et d'esprit, de son détachement, de la manière dont elle les utilise (sexuellement, affectivement, financièrement) comme eux-mêmes l'utilisent, elle leur "fait peur" et génère chez eux des comportements violents ou dépréciatifs. Le film est en cela une très juste représentation de ce que l'on appelle "la crise de l'identité masculine"...
Son personnage se complique aussi en ce qu'elle finit par être véritablement troublée par Dicky, voire amoureuse, bien qu'il lui renvoie, comme les autres, une image de sa soi-disant infériorité. Il est le seul à qui elle se présente en toute sincérité, à qui elle tente de faire entendre son point de vue, sans pour autant qu'il ne l'écoute. Et là ses regards semblent dire "si seulement tu pouvais véritablement accepter que je sois aussi libre et désirante que toi, que nous soyons égaux sur ce point, nous pourrions vivre quelque chose ensemble". Cette aventure aboutit à une impossibilité, Jeannie condamnée peut-être à demeurer profondément seule.

Le personnage de Maria est un peu le miroir inversé de Jeannie. Elle est un peu l'image de l'épouse modèle qui accepte tout, tout le temps, même l'inacceptable, "parce qu'il en va ainsi". Elle ne s'oppose jamais à son mari, même si elle est insatisfaite sur tous les points parce que c'est pour elle une preuve de "l'amour" qu'elle croit encore lui porter. Elle n'a en tout cas pas ce "cynisme" qu'à Jeannie face aux hommes, elle ne fait que subir leurs humeurs, leurs choix, leurs décisions. Elle semble porter en elle la culpabilité du désir et de la chair dont on revêt habituellement les femmes et tente même de se suicider après la nuit passée avec Chet, tant elle a en elle le sentiment qu'elle a "fauté". Son aventure avec Chet lui ouvre d'autres voies, d'autres possibilités, la rend plus forte, malgré toute la difficulté qu'elle a à changer soudain sa manière de percevoir les choses.

Bref, ce film est une représentation intéressante des changements de mentalités et de représentations de genre qui se sont amorcés à la fin des années 60, et qui connaissent permanences et mutations aujourd'hui... dans laquelle chacun-e peut aussi trouver des éléments intimes et personnels.

Cassavetes ne donne aucune réponse quant à l'avenir de la relation de Dicky et Maria. Dicky rentre chez lui après cette nuit passée avec Jeannie, surprend Maria et Chet qui s'enfuit par la fenêtre. Mais aucune résolution donc, comme le suggère le dernier plan du film, plan fixe sur l'escalier de leur maison dans lequel ils se croisent et se recroisent au matin du lendemain, comme une image des hommes et des femmes qui ne font jamais que se croiser sans jamais réellement s'atteindre. Et le film fonctionne au final et tout entier comme un chassé-croisé perpétuellement reconduit. L'escalier finit par se vider et rester vide, chacun étant parti de son côté.
Pessimisme quant à la possibilité d'une réelle compréhension/relation entre hommes et femmes ? La question est en tout cas posée...!

Faces propose aussi toute une réflexion sur le temps et sur la manière de l'aborder cinématographiquement. Cassavetes y déploie une véritable écriture de la quotidienneté, une tension perpétuellement reconduite entre le "rien ne se passe" et le "tout pourrait arriver". Pour creuser cette question et pour les plus motivé-e-s, un article en anglais, à décortiquer.