RAIL MOVIE TO THE FAR EAST

A force de faire, j'ai bien failli loupé le train samedi et il était presque moins une quand j'ai retrouvé Rep et Cath sur le quai. En route pour Strasbourg et le festival de courts métrages super 8 Tourné Monté (http://festivalsuper8.free.fr/) auquel on avait décidé de participé, en janvier, comme ça, encore une fois, pour tenter. Plus que pour une improbable "nomination", on n'aurait sous aucun prétexte manqué ce qui aura sûrement été la seule et unique projection grand écran de notre western-bananasplit-kung fu, Las duelistas (comme dit Cath, deux meufs avec les cheveux courts qui se lattent à grands coups de bananes, notre court a de quoi interloquer moultes psychanalystes ! ).
Au final, une bonne soirée. Intéressante en tout cas. On aura surtout gagné d'en avoir beaucoup appris. De voir quelques-uns des autres films "en compétition", de réaliser que pour un tout premier essai, fait "à l'arrache", en quelques heures, on s'en était très honorablement tiré (et là, il faut reconnaître le doigté de Rep qui a assuré la photo comme il sait si bien le faire, lumière, cadrage, rien a redire, juste des chapeaux ronds, tirés bien bas, en guise de bravo). Réaliser aussi que dans ce cas précis, la musique, c'est la respiration et qu'on avait manqué de ce rythme. Et puis la petite aventure, en trio, approcher, le temps de quelques heures, un bout du petit monde du tourné monté super 8 alsacien, se croire sur un paquebot dans le palais des fêtes, retenir son souffle quand vient notre tour, sortir de nos retranchements, sur la fin, discuter avec un autre participant, qui nous a encouragé et appris comment tricher au tourné monté, mais chut, ça c'est un secret...
Certains films m'ont laissée perplexe, d'autre carrément énervée. Un surtout, Enfin libre!, qui commence par quelques réflexions ignobles sur la prison ("comme j'étais bien en prison, j'avais à manger et la télé..."), et se poursuit sur des considérations tout aussi gerbantes sur les femmes ("sur les femmes"... je suis encore bien gentille de prêter quelque sens de discernement au type qui a pondu cette merde... bref...), cristallisées dans la figure de la poupée gonflable que le type "prend" comme compagne à sa sortie de tôle et qu'il finit par tuer, s'il est possible d'infliger un tel traitement à une poupée... Tout cela sur fond de ce discours que je n'en peux plus d'entendre, "chérie je t'aimais, mais je t'ai tué, je ne sais pas ce qui m'a pris, je n'ai pu résister, c'était plus fort que moi...". Certains diront encore que je n'ai pas d'humour, je répondrai à nouveau qu'il faudrait encore que ce soit drôle... Certes, on peut rire de tout... mais pas avec tout le monde... l'humour est une question de confiance et là, j'en avais pas et pas envie d'en avoir. Parce que je me dis que c'est trop facile de jouer sur ces vieux clichés, de faire appel à ces ressorts acculés... voir des femmes ou des poupées gonflables se faire latter, ça rassure peut-être les beaufs et ça excite sûrement les impolitiquement correct-e-s, moi je trouve que cela ne va pas loin, à part dans la connerie. Ca, c'est dit.

Le passage a Strasbourg fut donc bref et il n'est pas exagéré de dire qu'on a finalement passé le week-end dans le train. Mais cette rapide translation a quand même eu le mérite de nous faire replonger, Rep et moi, dans quelques souvenirs, chacun les siens, d'un certain été 2002, un campement no-border... le parc du Rhin investi, l'autogestion à 2000, les chiottes sèches et les douches solaires, quand c'est pas simple de mettre la pudeur au vestiaire ; les rencontres incroyables qui font tout remettre en cause, de a à z, les interminables discussions qui ébranlent les confortables certitudes avec lesquelles on avait toujours vécu, le dôme femme ; nos courtes nuits sous la tente avec Veg, comment on ne savait pas encore très bien se dire que l'on s'aimait même si, déjà, on le faisait ; la medical team, les coups de speed, la peur au ventre, la pression des flics dans les ruelles derrière la cathédrale, la pression des flics sur les boulevards, la pression des flics partout, les flics, à qui ont balançait nos rêves, nos rages, nos désirs, tous ces mouvements que l'on voulait libres. Que l'on veut libres.

IDEAS ARE BULLETPROOF

La semaine dernière, une envie irrépressible d'aller voir V pour vendetta, adaptation du comics d'Alan Moore, par les frères Wachowski, réalisé par James Mc Teigue. Alors non, et c'est mal, je n'ai pas lu la BD avant, dommage sûrement, mais je suis en train d'y remédier. Alors bon, malgré le hollywood system et le grand spectacle, j'ai aimé et je ne sais pas comment j'aurais pu ne pas le faire ! Un air d'anarchie, Natalie Portman avec son crâne rasé (1), la fin de la peur et l'acte, un brin de romantisme bien placé... A première vue, que du bon...
Un peu trop peut-être et une question, de bout en bout, m'a "taraudée"... comment un film qui porte, en image et en discours, une "telle" critique de notre propre système (certes vite faite, la critique, mais quand même, on y retrouve pêle-mêle dénoncés, les média et leurs mensonges au service du pouvoir en place, l'église, l'armée, la communauté scientifique, la passivité citoyenne...) se retrouve-t-il ainsi, projeté dans des salles à ne plus savoir compter, à grand renfort d'une publicité très "air du temps" - de grandes affiches dans le métro, sur les panneaux électoraux, ce graff rouge qui semble les déchirer... et on pourrait en remettre une couche sur comment le capitalisme en général, et l'industrie du cinéma qui le sert, se réapproprient jusque dans nos manières de les "saboter"...
Bref, tout cela m'a amenée, par des voix pas si détournées qu'elles n'y paraissent, à repenser à Judith Butler et à un passage de l'entretien intitulé Pour une éthique de la sexualité (2). Je m'explique. Ce film, qui est aussi largement diffusé et promu, n'est en aucun cas le vecteur de luttes, ni de la remise en cause du système, d'abord et très simplement, parce que s'il l'était, il ne serait justement pas ainsi diffusé et promu (il suffit de voir les bâtons dans les roues, posés sur le chemin de Kramer ou de Watkins, en réaction à leur "brûlots"...). Ce film, au contraire, fonctionne comme un film pornographique, et c'est là où je rejoins Butler, dans le sens où, il "absorbe", fait s'évacuer, compense toute pulsion, tout désir, toute velléité de voir s'écrouler le système qui nous aliène, comme un film porno fait s'évacuer, par le biais du plaisir visuel, toute pulsion, tout désir, toute velléité de passage à l'acte. Et là, je cite pour m'appuyer :

"(...) il fallait appréhender la pornographie comme fantasme : c'est un fantasme que consomment les gens. Lorsqu'on leur demande s'ils veulent faire ce qu'ils voient, parce qu'ils prennent plaisir à le voir, nombreux sont ceux qui répondent : « Pas du tout, cela me donne un plaisir visuel, mais ce n'est pas forcément quelque chose que je voudrais faire. » En termes analytiques, le fantasme pornographique peut jouer comme compensation : ce que je ne peux pas faire, dans la réalité, c'est ce que j'imagine, avec la pornographie. Non seulement l'image ne provoque pas l'action, mais c'est à défaut d'agir que je jouis dans l'imaginaire."

Alors avec V pour vendetta, on fait la révolution depuis son fauteuil rembourré, le temps de la projection, dont on ressort épuisé, repu et tout à fait contenté-e. Mais dehors, rien n'a changé...


(1) - je me pose là encore une fois la question des ressorts de cette représentation-là, celle des "femmes rasés", comment à nouveau ceci nous est montré comme une punition, une mutilation, une "marque infâmante", une humiliation, une violence symbolique... comment on en revient toujours à l'image des "femmes tondues de la Libération", et pourquoi cet acte n'est jamais (?) montré comme quelque chose qui peut être voulu, choisi, désiré, valorisant...
Un article qui décortique un peu ces question pileuses et certes touffues : Frédéric BAILLETTE, Organisations pileuses et positions politiques, in Modifications corporelles, Quasimodo n° 7, printemps 2003.

(2) - entretien réalisé par Michel Feher et Eric Fassin - entretien qu'il est possible de lire dans son intégralité là : http://1libertaire.free.fr/JButler01.html