L'ILE ET ELLE.

"De l'autre côté du monde tumultueux, plein d'injustices, de guerres et de catastrophes, il y a la plage... ... et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis."

Douce phrase, trouvée dans le "catalogue" de l'expo d'Agnès Varda à la fondation Cartier. Elle m'a fait penser à mes ami-e-s éparpillé-e-s, à nos rêves de vie "les pieds dans l'eau", à comment elle me semble loin en ce moment, la plage, comment parfois j'ai peur d'un renoncement de circonstance, "parce que c'est comme ça... parce qu'on n'y peut rien, qu'ainsi va la vie", que tout cela soit déjà du passé.



Varda est l'une des seules à me faire encore pleurer.

Il faut se rendre à son exposition comme on va se balader sur une plage de bretagne, avec le temps de flâner, d'attendre que la marée baisse pour pouvoir passer, approcher le sel, le goûter peut-être, écouter les veuves parler de l'absence et du manque, de l'amour mort et enterré, avec elles, se dire que non, comme ça, on n'arrivera plus à aimer, qu'il reste tout de même un petit mot griffonné, un coquillage dans un mouchoir plié, un souvenir qui met du temps à passer, mais qui passe et s'efface, doucement, qu'on vivra bien avec puisqu'on n'en est pas mort, "parce que c'est comme ça... parce qu'on n'y peut rien, et qu'ainsi va la vie". Parce qu'au milieu des morts, il reste les vivants, et même si c'est pas évident, on trouvera bien comment, ensemble, se faire du bien.

Plus personne n'aime. Plus personne ne sait comment. On fait tout au plus semblant. On trouve des arrangements. On s'accommode des silences de l'autre et des siens. Barbara chantait "à chaque fois", qu'avant "toi", y avait pas d'avant et qu'à chaque fois, on pouvait rêver à nouveau. J'ai peur de ne plus y croire.



La relation amoureuse peut-elle être autre chose qu'une complication ?

En ce moment, je me dis que je me suis trompée d'histoire. Ou alors que je revis les sursauts "maladifs" de la première. Ou alors que "j'absolutise" ce qui n'est au fond qu'un autre passage de la vie. Je me dis cela toute seule, car "on" n'en parle pas ensemble. Ou difficilement. L'autre ment. Moi, j'omets. Après deux années à l'imparfait, je n'arrive pas à sortir du conditionnel. "Ca pourrait être bien, si...".

À quand le présent partagé ?

Si on avait un peu de courage et de bon sens, on se dirait : "nous ne sommes ni toi ni moi vierges de toutes douleurs, ni toi ni moi ne pouvons aimer comme nous l'avons déjà fait, une fois par le passé ; nous sommes toi et moi rattrapés par nos spectres, nous sommes toi et moi ambivalents, dans nos désirs, contradictoires dans nos attentes, toi et moi avides de liberté mais effrayés de trop de solitudes, nous cherchons, toi et moi, quelqu'un sur qui compter, quelqu'un avec qui partager, quand il y a trop de silence, quand la nuit est trop noire..."

Et si on pouvait au moins se dire cela, on pourrait tout se dire, et qu'importe alors tout le reste, les soirs sans se voir, les semaines sans se toucher, plus besoin de mensonges ni d'omission, avec d'autres, peut-être, le frisson, mais ensemble, la confiance et la complicité.

Ce serait la moindre des choses quand on dit s'aimer.

Mais on ne se le dit pas. L'un ment, l'autre omet.

ET SI C'ÉTAIT ELLE.

Hier, j'ai posé quelques heures pour une élève des Gobelins et son examen prise de vue de fin d'année. Je me suis transformée le temps de ce shooting chaotique en "femme politique". Vanessa avait fourni chemise et veste, n'ayant pas dans ma garde robe des vêtements pouvant renvoyer une quelconque "respectabilité sociale". Coup dur au premier test polaroïd, je ressemble décidément au mieux à un laborantin, au pire à un garçon de café... Deuxième essai, chemise sombre à fleurette et lunettes, cette fois, c'est certain, on tape dans le genre jeune institutrice old school coincée... toujours pas l'effet recherché... On trouve finalement un compromis qui lui convient et c'est parti pour les sourires : "souris... pas trop... un peu plus... voilà, bouge pas, 1, 2, 3... flash... prends un air sévère, esquisse un sourire à partir de là... voilà, 1, 2, 3... flash... maintenant, souris à pleines dents... reste comme ça, 1, 2, 3... flash... refais l'air sévère mais sympa quand même, voilà... bouge pas, 1, 2, 3...".

Au final, je ressemblerai sûrement plus à une potentielle élue locale qu'à ségolène royal mais bon, c'est aussi ça "la politique"...

Bref, cette matinée m'a fait repenser à la manière dont la "politique" que l'on nous sert à longueur de temps - média-politique même combat - et bien, c'est essentiellement de l'image et des conseils de conseillers en communication... Pour ce qui est des projets de société, on repassera, parce que sur ce terrain-là, ps-ump même combat, tout au plus kifkif bourico, à une nuance près, infime et à peine visible (n'en déplaisent à mes amis socialistes) - je n'ai même pas besoin de renvoyer aux dernières déclarations de Mme Royal, son encadrement militaire et ses suspensions d'alloc... À ce rythme là, on aura un second tour sarko-le pen et même plus d'yeux pour pleurer. Quand à espérer que les moustaches de José Bové créent un consensus de l'extrême gauche autour d'elles et du "fromage du terroir", faut-il même s'en réjouir ou même espérer...?

De toute façon, et ce n'est qu'enfoncer une autre porte ouverte, les politiques n'ont de nos jours plus qu'un rôle de façade, de vitrine, ceux qui décident et qui ont le véritable pouvoir décisionnel sur "la vie de la cité" sont les grands entrepreneurs, ceux qui négocient leurs licenciements à coups de milliards, et invectivent les individu-e-s à "travailler plus pour encore moins", et avec le sourire en plus...

Comme le dit Jean-Michel Frodon dans les Cahiers à propos du film de Moretti, Le Caïman, "la tristesse est aujourd'hui une arme contre le cynisme". Et quelle tristesse de penser qu'il ne nous reste que cela...

HARD SOMKER LOOKING FOR PEACE OF LUNG

Comme je l'ai annoncé, cet été, j'arrête de fumer. Plus facile à dire qu'à faire, puisque cela fait déjà un an que je me formule cette envie, ce besoin, avec plus ou moins de conviction. Et oui, parce que cela fait dix ans (déjà) que je suis une hard clopeuse, que je fume beaucoup trop et quotidiennement, avec des phases, un peu moins quand j'ai une angine, un peu plus quand j'ai du chagrin. Date butoir, 1er juillet, avant cela, il faut être honnête et réaliste, je sais que je ne vais pas en être capable, tout au plus de tranquillement diminuer, jusqu'à l'arrêt complet de la machine à inhaler. Cette fois, la décision se doit d'être irrévocable et surtout concrétisée dans la longueur. Une question d'estime de soi peut-être, de santé surtout, histoire de se prouver, comme un challenge, que j'ai assez de volonté et de confiance en moi pour rompre définitivement avec cet amour pervers là, avec cette dépendance, avec ce "besoin irrépressible" de me remplir de cette impalpable fumée. Je m'attends aux affres du manque, car on parle bien ici de drogue dure, subtile et en vente libre. Pour la dépendance physique, je crois que ça ira, je serai peut-être un peu plus épidermique que d'habitude, mais rien d'indépassable. La dépendance psychologique sera un adversaire bien plus redoutable, tous ces moments, tous ces lieux, ces personnes et ses émotions qui sont intimement liés à ma pratique, à ma consommation et auxquels il faudra désormais se présenter en solitaire, sans cette compagne rassurante entre les doigts, sans l'écran de fumée qui protège... et puis abandonner toute cette mythologie personnelle de la clope, toute cette imagerie que j'ai tissé au fil des années, tenace et ténue...

Même processus que celui de rompre avec la dépendance amoureuse, j'en reviens toujours au même point. :)

Ces derniers jours, l'envie devient pressante, mais je n'arrive pas encore à sauter le pas, ça viendra, il suffit sûrement de respirer un grand coup et de ne pas regarder en bas...

Tout cela m'amène à penser que la manière dont je consomme des cigarettes, de l'alcool et du bédo, depuis le lycée, s'apparente à une fuite en avant. J'ai pendant très longtemps idéalisé ces moments où l'on "se met la tête", je croyais que l'on touchait là à quelque chose "d'essentiel", à une sorte de "vérité de l'être", que l'on se débarrassait des contingences et des barrières qui nous briment, nous contiennent au quotidien, dans les relations, dans notre rapport au monde... Illusion entretenue par les "produits" qui, faut-il le rappeler, modifient la perception, d'où ces nuits, par centaines, à prendre des discussions de comptoirs entre pochtron-ne-s pour des révolutions, à se croire soudain "clairvoyants", à croire que l'on peut se comprendre sans parler, à se sentir, illusoirement, vivant-e-s...

Il n'est pas question ici de se mettre à culpabiliser cette fuite en avant, juste peut-être de la comprendre pour la dépasser. Parce que j'en vois encore des raisons de boire ou de fumer jusqu'à s'écrouler, se défoncer la tête pour ne pas penser, s'anesthésier, littéralement se déconnecter, détourner ce sentiment d'impuissance face à ce merdier du dehors, trouver du plaisir, même illusoire et passager. Je vois la fête et l'excès comme des moments nécessaires, des soupapes pour évacuer, ou encore des moyens de "communiquer avec le monde du dieu serpent", comme dirait Castaneda.

Oui mais, comme dans beaucoup de choses en ce moment, j'ai envie de rompre avec les cercles vicieux. Le sentiment d'impuissance nourrit l'impuissance, la fuite nourrit la dépendance et les retours de bâton sont douloureux. J'en ai marre de tourner en rond parce que j'ai parfois peur d'avancer.